mardi 8 février 2011

300 heures de géographie, en réponse à Marie-France Bazzo et Mario Dumont

Dans un article du 3 février, La Presse coiffait l’article d’Ariane Lacoursière du titre «La géographie: une matière en voie de disparition? ». Le lendemain, Marie-France Bazzo et Mario Dumont dans leur chronique chez Paul Arcand s’appuyaient sur le papier de Mme Lacoursière, mais sans point d’interrogation aucun dans leur propos. J’entends rassurer madame Lacoursière et contredire madame Bazzo et monsieur Dumont: on n’enseigne pas moins la géographie au secondaire.

Sitôt en présence de mes élèves du cours Monde contemporain que j’enseigne, je me suis souvenu de la chronique. J’y suis donc allé d’un tweet pour rappeler à madame Bazzo qu’elle s’exprimait sans avoir lu les programmes d’étude. Il faut en effet en comprendre l’articulation pour savoir que la géographie est aussi abordée de façon interdisciplinaire. J’imagine les journalistes sourciller devant la transversalité de la chose! Transversalité, le mot est lâché. S’ils se moquent, c’est par manque de connaissances et par préjugés, car c’est un plus pour la discipline qui gagne peut-être même en heures d’enseignement plutôt qu’en perdre.

Depuis que le renouveau pédagogique a atteint le secondaire, il est vrai que les 200 heures attribuées à la géographie sont devenues 150 tel que le rapportait la journaliste Lacoursière. Cependant, les connaissances de géographie physique ont été ajoutées au cours de science et technologie sous l’appellation « terre et espace » (premier cycle: ici; deuxième cycle: ici)! Cela laisse aux enseignants de géographie 150 heures pour plonger très profondément dans l’étude des territoires en géographie humaine. En cinquième secondaire, s’ajoute encore le cours Monde contemporain. En trois des cinq thèmes (population, richesse et conflits), les 100 heures dudit cours ouvrent sur de grands pans de connaissances géographiques comme je le tweetais à madame Bazzo. Peut-on alors parler d’une réduction des heures d’enseignement de la géographie? Il y a tout lieu de croire au contraire!

Mais tentons l’expérience. Dans cette chronique, Bazzo raconte le cas du neveu montréalais d’une amie de son conjoint (on ne précise pas son âge) qui ignore où se trouvent les Laurentides. Pourtant, dans le programme de géographie, un des territoires à l’étude est une région touristique du Québec ou du Canada. Puisque Montréal est déjà à l’étude obligatoirement en tant que territoire métropole et Québec à titre de territoire patrimonial, les manuels ont pour plusieurs arrêté leur choix sur la région du mont Tremblant. C’est vrai que le choix d’une région touristique pourrait être la Gaspésie ou le Saguenay-Lac-Saint-Jean, mais vu que l’esprit du programme incite aux comparaisons, un.e enseignant.e consciencieux qui privilégie l’étude du Rocher Percé ou du fjord du Saguenay mentionnera certainement les autres pôles d’attraction touristique du Québec en les localisant.

Le second exemple amené par Marie-France Bazzo est la compréhension nécessaire de la géographie pour comprendre les enjeux de la mondialisation. Si celle-ci avait davantage de personnes convaincues par la réforme dans son entourage, on lui dirait que « les multinationales et leur déplacement vers des pays en développement » est la connaissance prescrite par le programme pour fonder la compétence 3 lors de l’étude d’un territoire industriel du Québec ou de l’Ontario des Grands Lacs. La dimension géographique de la mondialisation est encore approfondie par les thèmes de population et de richesse dans le cours Monde contemporain de secondaire 5. En histoire de secondaire 2, lors de l’étude des réalités sociales de l’industrialisation et de l’expansion du monde industriel (voir ici), on avait déjà eu l’occasion de faire l’histoire des puissances industrielles du 19e siècle et de leurs empires coloniaux jusqu’à la colonisation de l’Afrique.

Jamais ai-je appris autant, de mon temps! Le cours de secondaire 1 était presque entièrement consacré aux connaissances de géographie physique que les cours de science et technologie aujourd’hui dispensent (la Terre dans l’univers, la formation du relief terrestre, le dynamisme interne de la Terre, la météorologie). J’adorais être l’enseignant qui faisait découvrir ces contenus, mais je me souviens encore de mon émerveillement quand je lus les programmes tellement plus riches et pas moins complets grâce au concours des collègues de science. Quant au cours de secondaire 3, détesté des professeurs et des élèves pour son caractère répétitif, il comportait une liste de régions administratives, de forêts et de cours d’eau à mémoriser. Qu’en gardent les Québécois aujourd’hui? Est-ce que le nombre d’heures consacré à l’étude de la géographie a diminué? Je crois le contraire!

Les derniers exemples que madame Bazzo mentionne sont les besoins en eau des États-Unis qui les font convoiter notre richesse, ainsi que la densité de l’occupation de la vallée du Saint-Laurent pour comprendre l’opposition des citoyens à l’exploitation des gaz de schiste. Dans le cas de l’eau, le thème de l’environnement dans le cours Monde contemporain porte entre autres sur la gestion de la rareté des ressources. En géographie au premier cycle, l’élève avait déjà étudié les aménagements que la Californie agricole a dû faire pour étancher sa soif, en guise de comparaison avec le milieu agricole de la vallée du Saint-Laurent prescrit au programme de géographie comme territoire agricole national. Il s’agit aussi bien sûr du principal espace géographique des cours d’histoire nationale de secondaire 3 et 4! La deuxième réalité sociale de secondaire 3 porte spécifiquement sur l’émergence d’une société française en Amérique, la Nouvelle-France. L’élève doit être ainsi à même de comprendre pourquoi les abords du Saint-Laurent sont encore les plus peuplés aujourd’hui.

« On est des citoyens plus endormis si on ne connaît pas notre géographie » affirme madame Bazzo. On sera là-dessus parfaitement d’accord avec elle. C’est vrai aussi qu’on connaît assez mal notre géographie, au Québec comme en Amérique du Nord, et qu’il faudrait y remédier. Je pense avoir toutefois fait la démonstration que l’élève québécois qui développe une compétence à comprendre les enjeux de géographie le fait sur la base des connaissances que madame Bazzo elle-même juge pertinentes. Oui, et pas moins qu’avant, on enseigne aujourd’hui la géographie!

Ajout: À la Une du National Post du 18 janvier 2013, les connaissances générales en géographie des étudiantes et étudiants universitaires de Terre-Neuve sont dites préoccupantes. Les anciennes façons d'apprendre ne fixent pas beaucoup plus de connaissances en mémoire, une des raisons du apprend à apprendre!

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